Dans L’amante anglaise jouée au Théâtre de l’Atelier jusqu’à la fin de l’année, la rencontre de Marguerite Duras, du metteur en scène Jacques Osinski et de la comédienne Sandrine Bonnaire était prometteuse. A l’arrivée, ce spectacle exigeant et fidèle à Duras pèche par excès.
Le théâtre de l’Atelier et son rideau de fer couleur de feu est un bel écrin pour accueillir L’amante anglaise. Assis devant le rideau, Pierre Lannes (Grégoire Oestermann) se fait interroger par un homme (Frédéric Leidgens), situé face à lui dans la salle, sur le meurtre commis par sa femme Claire. Elle a démembré sa cousine sourde et muette avant de jeter les morceaux du corps dans des wagons de trains de marchandises qui passent non loin de la maison de Viorne où le couple et la victime habitent.
Dans la seconde partie du spectacle, c’est au tour de Claire de venir s'asseoir sur la chaise. Cette fois-ci, le rideau est levé, laissant la cage de scène entièrement nue.
Le texte, rien que le texte
Le texte, rien que le texte : cette mise en scène radicale a le mérite de laisser toute sa place à la parole des trois protagonistes. Une parole qui met en exergue trois solitudes qui ne parviennent jamais à dialoguer entre elles. Les questions de Frédéric Leidgens - dont le rôle n’est pas précisé : est-il un psychologue ? Un enquêteur ? - se heurtent aux réponses de Claire Lannes, comme à un mur. La parole de Pierre Lannes, le mari, est aussi complexe : il a aimé cette femme tout en la considérant comme “une espèce de folle”, et ce, dès le début de son mariage. Il dit “regretter tout ce qu’il a fait” et dans la réplique suivante, déclare avoir “eu avec elle des moments de bonheur personnel que personne ne pourrait regretter”. Les échanges avec l’enquêteur sont des boucles qui ne produisent pas réellement de sens, mais dessinent davanage les personnages : Pierre Lannes est un homme médiocre, qui attend avant tout que sa maison soit tenue. Quant à Claire, l’enquêteur cherche à comprendre son geste. Peine perdue, ses questions ne provoquent aucune explication, bien au contraire, elles amplifient l’incompréhension du geste de la femme. Il n’y a pas de mobile car Claire Lannes est hors du monde, dans son jardin, au sens propre comme au figuré. C’est dans le jardin, au contact de la menthe anglaise, qu’elle est heureuse et s’y “sent très intelligente”. Au contact de son mari, de sa cousine de la société, là où elle devrait tenir son rôle d'épouse, elle ne peut pas vivre.
Un théâtre mental
Jacques Osinski épure jusqu’à l’os le texte de Duras dans le jeu entièrement immobile des comédiens. Ce parti-pris est renforcé par une diction du texte monocorde, sans relief. En cela, Jacques Osinski fait d’"un théâtre joué, (...) un théâtre mental”, comme le qualifie Arnaud Rykner, ancien assistant, dramaturge et traducteur de Claude Régy, dans sa préface de la pièce.
Ce choix, s’il se veut fidèle à Duras, ne ménage pas le spectateur dont l’attention est mise à rude épreuve, peut-être encore davantage dans la première partie. A vouloir supprimer tout artifice, tout effet, la pièce perd de son intensité, de sa chair. Malgré l’effort de Frédéric Leidgens et de son personnage de passeur, il reste lointain et sa diction et sa position dans la pénombre de la salle n'aident pas à créer le lien avec les spectateurs. Claire et Pierre Lannes sont statufiés dans leurs gestes jusque dans leur parole. Seuls les sourires lumineux de Sandrine Bonnaire offrent une magnifique variation à la parole enfermée et nous raccrochent enfin à la vie.
De Marguerite Duras
Mise en scène Jacques Osinski
Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens et Grégoire Oestermann
Texte du prologue dit par Denis Lavant
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